Perles recueillies en survolant le Séder de Vayéh'i
La maison de Yaakov
Avec le séder de Vayéh'i s'achève le premier des cinq livres de la Tora. Ce premier livre est qualifié par les maitres comme étant celui des Avots, des patriarches. Ceux-ci sont au nombre de trois: Avraham, Isth'ak et Yaakov. Or il est intéressant de constater que le personnage de Yossef, pourtant fondamental dans l'histoire de Béréshit, est absent dans ce trio. Pourquoi? Quel est le rôle de Yossef dans la construction du peuple juif? Pour comprendre, il faut rappeler qu'après les rôles fondateurs d'Avraham et d'Itsh'ak, c'est avec Yaakov que se dessine finalement le destin du peuple juif. D'où l'expression souvent utilisée de ''maison de Yaakov", "Bet Yaakov". Alors que dans la progéniture d'Avraham et d'Itsh'ak s'opère une sélection, Yaakov peut enfin donner naissance à une douzaine de tribus qui feront toutes partie du peuple d'Israel.
Dès lors, "Un juif, même s'il a fauté, reste un juif". Ce principe empêche tout échappement d'un membre du peuple juif. D'où l'image d'une maison, de laquelle on ne saurait s'échapper. Il existe pourtant un moyen de "sortir" de la maison juive: le mariage mixte. En épousant une non-juive, l'israélite donnera naissance à une lignée désormais "à l'exterieur" d'Israel. C'est précisément là qu'intervient l'héritage de Yossef: en résistant aux avances de la femme de Potifar, Yossef a donné aux enfants d'Israel la force, s'ils le souhaitent, de ne pas se laisser prendre au piège des relations interdites et de maintenir leur descendance dans la Maison de Yaakov. Yossef est donc le complément indispensable assurant que l'apport de Yaakov ne soit pas vain. Il figure donc logiquement dans le livre des Avots. (Rav I.Y.Erenfeld)
La vraie vie.
La Parasha s'ouvre par le décompte des années de la vie de Yaakov: "Yaakov vécut dans le pays d’Égypte dix-sept ans ; les jours de Yaakov — les années de sa vie — furent de cent quarante-sept années". On se rappelle que dans le séder précédant, celui de Vayigash, Yaakov avait qualifié devant le pharaon les années de sa vie comme étant peu nombreuses et "mauvaises". Yaakov, avions nous expliqué, ne dénommait par "vie" uniquement les moments d'épanouissement spirituels qui justifiaient son existence ici-bas. D'où sa réponse emplie d'humilité: il trouvait peu nombreuses les années qui en valaient la peine, en comparaison avec ses illustres ancêtres.
C'est donc afin de ne pas apprécier de manière erronée la qualité de la vie de Yaakov que la Tora précise que toutes ses années étaient bel et bien dignes d'êtres nommées ainsi, et que ce n'est que par pure modestie que Yaakov les appréciaient autrement.(Rav Rosenblum).
L'histoire suivante illustrera notre propos: On raconte au sujet des habitants juifs d'une petite ville d'Europe de l'est, qu'ils invitèrent un jour un jeune talmid- hakham à s'installer chez eux et à devenir leur rabbin. Celui-ci donna un accord de principe mais souhaita visiter la communauté. Lors de sa visite il fut amené à visiter le cimetière juif. C'est là qu'il ressenti des "frissons": les chiffres des âges des défunts, gravés sur les tombes, étaient particulièrement bas: 10, 30, 6, etc. Le président de la communauté, qui compris l'inquiétude qui se lisait sur le visage du jeune rabbin, le rassura immédiatement: "n'allez pas croire que nous sommes une communauté où l'on meurt jeune, h'ass véshalom. Nous avons simplement une coutume originale: nous considérons que les véritables moments dignes d'être comptabilisés sont ceux que nous consacrons aux mitsvots.
Chaque membre de notre communauté tient un petit carnet dans lequel il note les heures consacrées à la Tora et aux bonnes actions. Lorsqu'il décède, ce sont ces moments que nous prenons en compte et que nous inscrivons sur la pierre." En entendant ces paroles, le rabbin réalisa qu'il se trouvait dans un endroit exceptionnel et accepta le poste immédiatement….
L'arme de la parole.
" Et moi je t’ai fait don d’une part de plus que tes frères, une part conquise sur l’Émoréen à l’aide de mon glaive et de mon arc. "(48,22). Dans cette bénédiction de Yaakov adressée à Yossef, le glaive et l'arc font référence aux prières de Yaakov. Beaucoup se sont interrogés sur le sens de cette métaphore. On peut expliquer ainsi: le glaive et l'arc sont des armes dont l'utilisation requiert une longue préparation. Le glaive doit être aiguisé, et l'arc bien tendu.
Quant à l'utilisation de l'arme elle-même, elle ne prend qu'une fraction de seconde. Il en va ainsi de la prière: l'essentiel réside dans la mise en condition préliminaire. La Téfila elle-même doit être formulée avec la plus grande concentration possible… (Rabbi Chalom de Belz, feuillet Chabat Béchabato.)
L'oppression contre-productive
"Le Chévet (sceptre, bâton) n’échappera pas à Yéouda, ni la législation à sa descendance" (49,10).
Cet extrait de la bénédiction prononcée par Yaakov, promet le pouvoir monarchique et l'autorité à la tribu de Yéouda. Un des maîtres lisait ces mots de manière allusive: lorsque l'oppression envers les juifs se fera grandissante (symbolisée par le bâton), l'étude de la Tora n'en sera que plus intense et les "législateurs" plus prolifiques. Autrement dit, et de manière paradoxale, ce sont les moments les plus difficiles de notre histoire qui ont donné la production toranique la plus importante. Pour exemple, au moyen-âge, les fameux Baalé Hatossefots développeront l'étude de la Tora dans des conditions incroyables: décrets, croisades, pauvreté, constituaient souvent l'environnement difficile dans lequel ils élaborèrent leur incontournable commentaire du Talmud….
La tentation du pouvoir.
"Le Chévet (sceptre, bâton) n’échappera pas à Yéouda, ni la législation à sa descendance" (49,10). Nah'manide remarque que les Hasmonéens, qui n'étaient pas affiliés à la tribu de Yéouda, ont transgressé l'injonction du patriarche en s'emparant du pouvoir en Judée. Ce qui explique qu'ils furent punis et qu'il ne restera finalement aucun membre de cette dynastie. Le Talmud affirmera même qu'on n'accordera aucun crédit à quiconque se présentera comme descendant de cette prestigieuse famille, entièrement anéantie par Hérode. Le destin de cette dynastie parait pourtant bien tragique: la famille des Hasmonéens a certainement agi avec les meilleures intentions.
Ce n'est pas pour rien que nous les qualifions de Tsadikims à chaque Hanouka. S'ils prirent le pouvoir, c'est assurément pour mieux combattre une société hellénisée au possible. Alors que leur reproche-t-on? Et bien peut être d'avoir justement cru que c'est par l'intermédiaire du pouvoir politique que l'on peut changer le visage du peuple juif. C'est une erreur: parmi les maitres qui ont eu une influence majeure sur notre peuple, certains n'avaient même pas une fonction officielle. Exemple récent: le H'azon Ich, Rabbi Isha'yaou Karélits, qui de sa petite demeure à Bné Brak et par la force de son étude, eu une influence considérable sur le monde juif…
(Rav Moshé Sternboukh, cours hebdomadaire, année 5775)
R. Chmouel Olivier.