De la vie de Sarah à la Téchouva d’Ichmael, quelques réflexions sur la Paracha.
La vie de Sarah
« La durée de la vie de Sarah fut de cent ans, et vingt ans et sept ans ; années de la vie de Sarah » (23,1).
Chacun est en mesure de constater la curieuse division opérée par le verset qui partage les années de Sarah en centaines, dizaines, et unités. Cette présentation originale de la durée de vie de Sarah fera dire à nos Sages que toutes les années de sa vie furent équivalentes dans leur qualité en bien. Quel est le sens de ce commentaire ? La vie d’un homme n’est pas homogène dans les défis qu’il doit relever à chaque période de son existence. Le jeune homme, par exemple, est en éveil constant .
D’où, sûrement, le qualificatif de NAAR que lui accorde souvent la Tora. Lorsque ce jeune homme grandira, il sera confronté à de nouvelles forces, de nouvelles tentations, et de nouveaux défis seront à relever. Peut-être est-ce là le sens de la Mishna des Pirké Avot exprimant que « La jalousie, le désir et la course aux honneurs font sortir l’homme du domaine de l’existence. » Ces trois défauts correspondent grosso modo à trois phase de la vie : l’enfant est en prise généralement avec la jalousie, l’adulte avec le désir, et l’homme mûr avec la recherche du respect. Ce qui fit la particularité de Sarah est, semble-t-il, d’avoir réussi à s’adapter à chaque tranche de vie en en relevant les défis particuliers. Tout un programme.
Donner c’est donner
« Alors Abraham se prosterna devant les membres du conseil. Il parla à Ephrone en présence des membres du conseil en disant : « Cependant, si tu voulais seulement m’entendre, je t’ai donné l’argent du champ, accepte-le de moi, et j’y ensevelirai ma défunte » (23,12 et 13).
Petite remarque d’ordre linguistique : Avraham, en exprimant son souhait d’être prêt à acheter le caveau de Makhpéla pour y enterrer son épouse Sarah, dit « je t’ai donné », que Rachi explique comme une disposition à donner l’argent. Rachi donne également la traduction en « laaz » de NATATI (j’ai donné) en mentionnant le verbe français DONNER. Or cette traduction parait totalement superflue : qui ne connait pas le verbe « donner » en hébreu ? Pourquoi Rachi crut bon de nous en donner une traduction ?
La solution que propose l’ouvrage récent Maayan Agam est saisissante : Rachi, pour faire comprendre que le verbe hébreu NATATI évoqué par le texte n’était pas comme à l’habitude un don déjà effectué mais seulement une disposition à finaliser la transaction, choisit le verbe DONNER. En effet, une brève recherche dans des dictionnaires de français ancien (période moyen âge) nous apprendra que le verbe « donner » signifiait notamment « être prêt à donner ». C’est en ce genre de circonstances (notamment) que Rachi juge opportun d’apporter une contribution de la langue française, car l’hébreu ne suffit plus à traduire le mot du texte par un mot équivalent.
Miracle, oui mais….
« Le serviteur courut à sa rencontre et lui dit : « Laisse-moi boire, je te prie, un peu d’eau de ta cruche. » elle dit : « Bois mon seigneur » et elle s’empressa de baisser sa cruche jusqu’à sa main et lui donna à boire. » (24,17 et 18).
Les Sages racontent que l’eau du puits « monta » vers Rivka lorsque celle-ci désira puiser de l’eau. Or il est intéressant de remarquer que ce miracle ne fut point suffisant au serviteur d’Avraham pour se convaincre de la haute stature de Rivka et ce n’est qu’après avoir été témoin de la générosité de celle-ci qu’il entreprit les démarches requises. C’est que seules les qualités morales révèlent la compétence nécessaire pour entrer dans la famille d’Avraham. De manière plus générale, ce n’est que le perfectionnement moral qui devrait être le critère d’évaluation pour juger de la qualité d’une personne.
On raconte que suite à la disparition du Hafets Hayim des personnes demandèrent à son fils de partager avec eux le récit d’éventuels miracles effectués par le vénérable père. Le fils eut alors cette réponse mémorable : « Vous faites sûrement allusion à l’adage des Sages qui dit « le Tsadik décrète et Hakadosh Baroukh Hou accomplit » ; et bien mon père était plutôt de ceux qui accomplissent ce que Hakadosh Baroukh Hou décrète… »
Double mariage
« Isaac l’amena dans la tente de sa mère Sarah ; il prit Rivka, elle fut pour lui une épouse et il l’aima ; et Isaac se consola de sa mère. » (24, 67).
Le texte semble se répéter : « prendre » Rivka n’est-ce pas l’ « épouser » ? Une simple parabole expliquera l’intention du verset : Une délégation chargée par le roi alla un jour trouver un paysan pour le conduire de force au palais. Une fois arrivé, le roi contraint le paysan à épouser sa fille la princesse. Ce que fit, sans en avoir trop le choix, le paysan. De grandes noces et un somptueux banquet furent bien sûr organisés. Une fois les festivités terminées et après quelques jours seulement, le paysan alla voir le roi et lui demanda, certes avec respect, d’organiser une nouvelle cérémonie de noces. Le roi en fut évidemment très surpris, mais le paysan s’expliqua : « je dois avouer que la première fois ma joie n’était pas complète. Je me disais que si tu donnais ta fille à un simple paysan comme moi, c’est que celle -ci devait sûrement porter un défaut majeur.
Or voilà que plusieurs jours se sont écoulés et je constate que la princesse possède toutes les qualités possibles. C’est donc le cœur empli de joie que je souhaiterais à nouveau célébrer notre mariage ». Il en va de même pour Itsh’ak : il épousa Rivka une première fois, mais ce n’est qu’après avoir découvert ses qualités extraordinaires que son cœur participa pleinement à cette union.
La Téchouva d’Ichmael
« Ses fils Isaac et Yichmaël l’ensevelirent dans la grotte de Makhpelah, dans le champ d’Ephrone fils de Tso’har le Hittite, face à Mamré. » (25,9).
Le verset fait précéder Ichmael d'Itsh'ak pour indiquer, disent les Sages, qu’Ichmael laissa Itsh’ak marcher devant lui lors des funérailles d’Avraham. Or cette marque de courtoisie qui pourrait apparaitre à nos yeux comme un simple détail est interprétée par les mêmes Sages comme une reconnaissance tardive par Ichmael de la primauté d’Itsh’ak, donc comme une forme de Téchouva.
Il est pour le moins frappant de constater que la démarche entreprise par Ichmael , renvoyant à des conséquences historiques majeures, ne soit établie que par un acte anodin. C’est que parfois les « petits » actes sont bien plus révélateurs que les grandes démarches. Surtout lorsque ces petits actes expriment le type de priorités chez l’homme qui en est l’auteur. L’acte d’Ichmael ne fut pas grand mais révélateur d’un nouveau respect qu’il vouait envers son frère. Accorder de l’importance à certains comportements apparaissant comme insignifiants est l’une des préoccupations majeures des maîtres du Moussar.
R. Chmouel Olivier.