Perles recueillies en survolant le séder de Chofetim
Juges au pluriel…
"Tu établiras des juges et des magistrats dans toutes les villes…" (16,18)
Le sens premier de cette injonction est évidemment l'instauration d'un appareil judiciaire. Mais les maîtres de la H'assidout élargissent la portée de ce verset en l'interprétant comme un devoir pour l'homme de se juger lui-même, c’est-à-dire de s'autocritiquer.
Or, comme le remarque Rabbi Elimélekh de Lidzenk, le regard que l'on porte sur soi-même est double. Il peut être un regard exigeant et sévère, ou au contraire un regard tolérant et satisfait. Cela, en fonction des circonstances. A celui qui ne fournit pas assez d'effort dans le service d'Hachem de se le reprocher sévèrement.
Mais attention à ne pas tomber dans le désespoir et le sentiment de n'avoir " plus rien à perdre". A cette personne, au contraire, de s'encourager à progresser en sachant qu'Hachem est "satisfait" de chaque progrès, aussi petit soit-il. C'est de ces deux jugements dont il est question dans ce verset : les juges et les magistrats sont l'encouragement et le reproche, tous deux moteurs de la progression constante de l'individu.
Le sommet du monde.
"Si tu as à juger un cas qui te dépasse, (…), tu te lèveras et tu monteras vers le lieu que Hachem choisira." (16,8)
Les Sages en déduisent que le Temple est situé à l'endroit le plus surélevé parmi tous les lieus.
Cette affirmation étonna le H'atam Sofer, car elle ne semble pas du tout correspondre à la réalité !
En fait, explique-t-il, la Terre étant ronde, aucun endroit ne peut être désigné comme le plus élevé, puisqu'il est amené à "retomber" aussitôt de l'autre côté.
Sauf si nous désignons un point de départ, celui de la création du globe, qui sera considéré comme déterminant le monde "à l'endroit".
Or comme le lieu du temple est celui qui servit de lieu fondateur de la création, il sera identifié comme le lieu le plus élevé !
Monsieur Mensonge
" La justice, la justice tu dois poursuivre…" (16,20)
La vérité, assimilable à la justice, est un principe fondamental de la Torah. Pourtant, comme le souligne Rabbi Yossef H'ayim de Bagdad, les Sages enseignent qu'il est parfois indispensable de modifier certaines vérités, notamment lorsque la paix entre les hommes risque d'être compromise.
Pour illustrer son propos, le rav rapporte une longue histoire imaginaire, dont nous allons nous-même en rapporter les grandes lignes.
C'est l'histoire d'un juif qui, le soir de Roch Hachana, médite sur la place que prend le mensonge dans la société des humains, se persuadant qu'un monde sans mensonges serait un véritable paradis. Alors qu'il venait de s'endormir, une petite créature lui apparaît, se présentant comme le mensonge "en personne". L'homme essaya de l'attraper pour la tuer définitivement mais la petite créature, tout en échappant aux griffes de l'homme, lui expliqua qu'elle était un grand bienfait pour l'humanité, et ce quoique l'on en dise ! Aussi, elle promit de disparaitre dès le lendemain pour que notre homme puisse vivre ne serait-ce qu'un seul jour sans mensonges.
La journée qui suivit fut en fait la pire que l'homme connut depuis sa naissance. Dès le réveil, au lieu de répondre courtoisement aux vœux de bonne année de sa dévouée servante, il lui avoua, par souci d'honnêteté, qu'elle était tellement vieille et laide qu'il ne la supportait plus…
Lorsqu'il rencontra son créancier en chemin, il eut des mots tellement violents envers lui que ce dernier le menaça de le trainer au tribunal s'il ne remboursait pas ses dettes dans un proche délai…
Mais le pire moment est surement celui où, désirant visiter son oncle malade, il lui fit savoir combien il était impatient de le voir mourir pour recevoir son héritage…
Quant à la tante de sa fiancée, chez qui la jeune fille était élevée, elle fut tellement vexée des paroles du jeune prétendant, que le mariage fut compromis…
L'homme se réveilla et compris que ce n'était qu'un cauchemar. Toutefois, il avait compris que le mensonge était parfois préférable à la vérité.
C'est ainsi que le Rav de Bagdad interprète la "poursuite" de la justice dont il est question dans le verset. Poursuivre, c'est également chasser, ou combattre. Car la vérité doit parfois être chassée pour maintenir la paix entre les hommes.
Mourir deux fois
"C'est sur la parole de deux témoins ou trois témoins que le mort sera mis à mort…"
L'expression "le mort sera mis à mort" interpelle immédiatement le lecteur : pourquoi d'ores et déjà nommer l'accusé " le mort" ?
En réalité, répond Rabbi H'ayim Ben Attar, toute personne qui transgresse un interdit passible de la peine de mort, est déjà considéré comme un homme mort. L'application de la sentence est une formalité qui est le rôle de la justice terrestre. Au cas où il est impossible de condamner l'accusé, il mourra d'une manière ou d'une autre…
Chabbat Chalom
R. Chmouel Olivier.