Perles recueillies en survolant le Séder de Chemot
Tout en nuance
"Un nouveau roi se leva sur l’Égypte, qui ne connaissait pas Yossef. Il dit à son peuple : « Voyez que le peuple des enfants d’Israël est plus nombreux et plus puissant que nous. Allons, ingénions-nous contre lui, sinon il s’accroîtra encore, et, si une guerre venait à se déclarer, il s’alliera à ceux qui nos ennemis, nous combattra et quittera le pays" (1, 8 à 10)
En imaginant un plan pour mettre fin à l'expansion des israélites, Pharaon se veut ingénieux, rusé. Pourquoi trouve-t-il son idée de mise à mort des nouveaux nés en les jetant à l'eau si intelligente? Rachi explique le calcul: D. a juré de ne plus noyer l'humanité par le déluge; donc, en vertu du principe de réciprocité dans les punitions divines, si nous noyons les hébreux dans l'eau, Il lui sera impossible de nous anéantir. Ce que le Pharaon ignorait, précise Rachi, c'est qu'Hashem est en revanche susceptible de déverser son courroux ''aquatique" sur une nation, dès lors qu'il ne s'agit pas de l'ensemble de l'humanité! Une question, néanmoins, subsiste: comment Pharaon ne devina pas cela tout seul? Est-ce vraiment compliqué?
C'est que Pharaon a commis l'erreur que chacun d'entre nous peut commettre, à son niveau: imaginer que le Divin n'agit que de manière "manichéenne", sans nuances ni calculs. Le Déluge, ou rien. Au royaume du D. des hébreux, pensait-t-il, pas de place au Pilpoul! N'est-t-il pas dit que le Tout –puissant est ''vengeur", qu'il punit même les fautes les plus infimes? N'est-ce pas là le langage du fanatique, de l'extrémiste?
Il suffit donc de se montrer un plus intelligent, et le tour est joué! Sauf que la Tora nous enseigne justement le contraire: toute loi, tout principe, connait ses exceptions, ses limites, ses nuances. La transgression du Chabbat est sévèrement punie mais devient obligatoire dans certains cas. Le mariage avec sa belle-sœur est interdit mais autorisé dans le cas du Lévirat. Etc. D'où l'impératif, pour tout à chacun, d'étudier la Torah pour connaitre les contours de chacun de ses enseignements…(Tiferet Chimchon)
Baby-boom
"Le roi d’Égypte s’adressa aux sages-femmes des Hébreux dont le nom de la première était Chifrah et celui de la seconde était Pouah. Il dit : « Lorsque vous accoucherez les femmes des Hébreux, vous regarderez sur le siège d’accouchement ; s’il s’agit d’un fils, vous le tuerez, et si c’est une fille, vous la laisserez vivre. » Mais les sages-femmes craignaient l’Éternel et ne firent pas ce que leur avait ordonné Pharaon et elles laissèrent les enfants en vie. Le roi d’Égypte convoqua les sages-femmes et leur dit : « Pourquoi avez-vous agi ainsi ? Pourquoi avez-vous laissé la vie sauve aux enfants ? » Les sages-femmes dirent à Pharaon : « Les femmes des Hébreux ne sont pas semblables aux Égyptiennes : car elles sont habiles ; avant même que la sage-femme n’arrive auprès d’elle, elles ont déjà mis au monde. »
L’Éternel prodigua ses bienfaits aux sages-femmes, et le peuple s’accrut et se multiplia beaucoup. Et ce fut parce que les sages-femmes craignaient Dieu qu’Il fit pour elles des maisons". (1, 15 à 20)
Aux mots "Hachem prodigua ses bienfaits aux sages-femmes" suivent les mots " le peuple s’accrut et se multiplia beaucoup". Comme si le baby-boom hébreu ne constituait pas seulement la conséquence démographique du courage des sages-femmes, mais faisait aussi office de récompense pour ces dernières. Un des maitres du Moussar en déduisait un enseignement des plus humanistes: Lorsqu'une personne d'un haut niveau moral et spirituel accomplit un acte de bonté en essayant d'améliorer la condition d'autrui, et qu'il y parvient effectivement, il n'y a pour lui de meilleure récompense!
C'est en ce sens que les sages-femmes furent emplies de joie en constatant la croissance et le renforcement du peuple d'Israël.
Le père et la fille.
''Pharaon donna l’ordre suivant à tout son peuple : « Tout fils qui naîtra – dans le fleuve vous le jetterez. Et toute fille, laissez-la vivre. Un homme issu de la famille de Lévi s’en fut épouser une fille de Lévi. La femme conçut et donna naissance à un fils" (1 et 2, 22 et 1)
Les Sages (Sota, 12) enseignent qu'Amram, le père de Moshé, était le grand maître de sa génération. Suite au décret du Pharaon, il répudia son épouse, refusant de mettre au monde des enfants destinés à être tués. Tous firent de même. C'est sa fille qui le persuada finalement de reprendre sa femme, en avançant comme arguments que le "décret" d'Amram était, en quelque sorte, pire que celui du Pharaon. Ce dernier n'avait puni que les garçons, alors qu'Amram empêchait également la naissance de filles. Le décret de Pharaon n'avait un impact que dans ce monde ci, alors que celui d'Amram en avait également dans le monde à venir. Etc. Dans cet épisode, l'intelligence et le courage de la jeune enfant frappent tout autant que l'humilité du père qui revient sur sa décision.
Toutefois, il y a lieu de s'interroger sur ce revirement: la décision d'Amram était, on n'en doute pas, murement réfléchie. Qu'est-ce qui, dans le discours de la fille, a convaincu le père? L'idée que la Tora et le peuple d'Israël, sont destinés à vivre et à perdurer et qu'il est inconcevable, voire inutile, d'imaginer autrement. L'existence du peuple juif, quoiqu'il arrive, ne saurait être remise en question. Cette vérité simple mais profonde, seule l'âme pure et naïve de Myriam était capable de la formuler, et seule l'oreille d'un géant comme Amram était capable de l'écouter… (Birkat Mordekhay)
Leçon d'alcooliques.
"Il arriva qu’à cette époque Moché grandit et sortit voir ses frères ; il vit leurs souffrances"(2,11)
Est mis en évidence, ici, ce qui caractérisera Moché Rabénou durant toute son existence: le souci des autres, la capacité à être attentif à leurs souffrances. Un des grands maitres de la Hassidout raconta qu'il avait appris cette leçon d'humanisme en écoutant la conversation de deux non-juifs, deux amis, qui étaient apparemment imprégnés des effets de l'alcool…
Le premier dit au second:
"- est-ce que tu m'aimes?
-bien sûr, nous sommes amis!
-alors dis-moi où est-ce que j'ai mal?
-mais je n'en sais rien, tu ne me l'a pas dit!
-c'est donc que tu ne m'aimes pas. Si c'était le cas, tu saurais ce qui me fait mal…"
La Guéoula, oui mais…
"Moché dit à Dieu : « Qui suis-je pour me présenter devant Pharaon et faire sortir les enfants d’Israël d’Égypte ? »" (3,11)
Rachi révèle l'inquiétude qui hantait Moché: son frère Aharon lui en voudrait peut être d'être parvenu à ce haut rang. Le "tact" dont Moshé fait preuve ici paraît pour le moins ….déplacé. D'un côté, l'oppression égyptienne dans ce qu'elle a de plus cruelle et la déchéance spirituelle quasi-irrécupérable. De l'autre, la gêne hypothétique du grand frère, connu, de surcroit, pour son aptitude à apaiser les conflits….La Rédemption ne vaut-elle pas une petite vexation?
Apparemment, non. Moshé ne conçoit pas une délivrance, si grandiose soit-elle, qui puisse se construire sur le dos du prochain. Si Hachem désire cette délivrance pour son peuple, il pourra trouver un autre candidat. Et ce n'est qu'après avoir été rassuré par le fait que son frère vint heureux à sa rencontre, que le sauvetage peut commencer…. (Birkat Mordekhay)
R.Chmouel Olivier