Perles recueillies en survolant le Séder de Béchalah'
Aidés par la Providence.
" Il advint que lorsque Pharaon envoya le peuple, D. ne les conduisit pas par le chemin du pays des Philistins – celui-ci étant proche – car D. dit : « De crainte que le peuple se ravise en voyant une guerre et qu’ils retournent en Égypte ». Et D. détourna le peuple sur le chemin du désert, vers la Mer des Joncs." (13, 17-18)
Le début de la Paracha fait part de la modification de l'itinéraire des Bné Israel, décidée par D. Censés emprunter, en toute logique, le chemin plus court, les Bné Israel seront finalement conduits vers un chemin plus long, mais qui les épargnera d'une rencontre malheureuse avec les Philistins. Ceux-ci, en déclenchant une attaque contre les Bné Israel, pourraient bien les faire repartir en Egypte!
Ce passage est étonnant, aussi bien sur la forme que sur le fond. Depuis quand un texte biblique décrit il les pensées ''non-abouties'' du Maître du monde? De plus, ce passage donne l'impression que D. cherche à se ''justifier'', qu'il s'est trouvé impuissant face à la crainte de voir le peuple repartir. Ce n'est pas compatible avec l'idée d'un Tout-Puissant. Pour Rabbi Yérrouh'am de Mir, la Tora nous enseigne ici un principe fondamental en rapport avec la Providence divine. Hachem dirige ses créatures en se souciant de les éloigner de l'échec, de la faute. Bien sûr, le libre arbitre existe. Mais une providence divine particulière veille à protéger l'homme de la faute.
C'est ce que nous enseigne la Tora en montrant le chemin protégé vers lequel les Enfants d'Israel furent dirigés.
Face à face décisif
"Moché étendit sa main vers la mer et l’Éternel déplaça la mer par un vent puissant d’Est toute la nuit. Il mit la mer à sec et les eaux se fendirent" (14,21)
Moché s'apprête donc à fendre la mer. Seulement voilà, aux dires du Midrach, celle-ci refusa d'obtempérer. D'ailleurs, elle s'en justifia: ayant été créée dès le troisième jour de la Création, elle ne se sentait pas le devoir de s'incliner face aux hommes, qui eux, ne furent crées que le sixième jour! Il fallut, dit toujours le Midrach, l'intervention du Créateur Lui-même, qui posa sa (main) droite sur celle de Moché, pour que les eaux puissent enfin s'ouvrir. L'argument était apparemment de taille, puisqu'il fallut l'intervention de D. Mais on est alors en droit de se demander: qu'est-ce qui finalement donna raison à Moché? Ceci n'est pas rapporté, du moins explicitement!
Pour comprendre, on peut avancer l'idée suivante, inspirée de l'ouvrage Beit Pinh'as: face au constat d'une certaine infériorité de l'homme par rapport à la mer (infériorité toute relative quand même: la place de l'homme dans la chronologie de la Création est aussi la marque de sa supériorité, puisque le meilleur est toujours pour la fin!), un élément devait être pris en considération: le peuple juif fut libéré de son esclavage à la seule fin de recevoir la Tora au Sinai. C'est ce qu'invoque le Créateur lorsque Moché, tout juste mandaté pour faire sortir le peuple, lui demande: par quel mérite le peuple méritera-t-il de s'affranchir de l'esclavage? Or la Tora, comme le précisent les textes de la loi Orale, fut créée bien avant les six jours de la création du ciel et de la terre. C'est donc armé de la promesse d'une révélation sinaïtique que le peuple s'engage à traverser la Mer des Joncs.
La Tora qu'ils incarnent potentiellement et qui transcende les créations de Béréchit leur permet donc de clamer leur supériorité par rapport à la mer. Ceci est allusionné dans la dimension du côté droit, puisque la Tora aussi, comme nous l'apprennent les Sages à partir d'un des derniers versets de la Bible, fut donnée "par la droite".
Le double pain de l'unité.
"Quand vint le sixième jour, ils ramassèrent le double de nourriture ; deux omer par personne ; et tous les chefs de l’assemblée vinrent et le dirent à Moché. Il leur dit : « C’est ce que l’Éternel a dit : il y aura un jour de repos, un Chabbat saint pour l’Éternel, demain. Ce que vous voulez faire cuire au four faites-le cuire au four et ce que vous voulez cuire, cuisez-le et tout l’excédent mettez-le pour vous en réserve jusqu’au matin. »" (16, 22-23).
Les Bné Israel recevaient le vendredi une double quantité de Manne, et ce afin d'en assurer la présence également pour le Shabbat où la Manne ne tombait pas. C'est ce qui est à l'origine de la prescription qui nous recommande, lors des repas chabbatiques, d'attraper pour la bénédiction du pain non pas un seul pain, comme on le fait en semaine, mais deux. Ce que l'on appelle ''Léh'em Michné''. Une question saute aux yeux.
D'ailleurs, elle s'impose de manière tellement évidente qu'on se demande si elle a été suffisamment traitée: que représente la saisie de deux pains le Chabbat alors que l'objectif de la double ration du vendredi dans le désert était justement d'en avoir un pour chaque jour, à savoir le vendredi et le Chabbat! Si une réponse précise est difficile à formuler, tentons cependant de décrire l'idée générale qui semble se cacher derrière l'injonction des deux pains: si les jours de la semaine juive distinguent le Chabbat des jours "profanes", n'allons pas croire qu'ils s'agissent de deux entités différentes.
La dichotomie sacré/ profane, ou matériel/spirituel est une idée étrangère au judaïsme. Séparation, oui. Coupure, non. Il y a un lien d'interdépendance qui unit le Chabbat des autres jours de la semaine. Les autres jours sont au Chabbat ce que le corps est à l'âme, en quelque sorte. Le Chabbat est source de bénédiction pour les autres jours, qui a leur tour sont une préparation au Chabbat. C'est ce que représente le double pain du Chabbat: la double dimension semaine/chabbat qui devient l'union de deux éléments qui se nourrissent l'un l'autre.
Une place pour la confiance
" Et toute l’assemblée des Enfants d’Israël partit du désert de Sine pour ses voyages selon la parole de l’Éternel. Ils campèrent à Refidim et il n’y avait pas d’eau à boire pour le peuple. Et le peuple querella Moché. Ils dirent : « Donne-nous de l’eau que nous buvions. » Moché leur dit : « Pourquoi vous querellez-vous avec moi ? Pourquoi éprouvez-vous l’Éternel ? Là-bas le peuple eut soif d’eau et le peuple se plaignit de Moché et dit : « Pourquoi nous as-tu donc fait monter d’Égypte pour me faire mourir ainsi que mes fils et mon bétail par la soif. »" (17, 1-3)
Le fait que les Bné Israel soient confrontés à l'épreuve de la soif peut apparaitre comme quelque chose de paradoxal: en effet, une Manne leur était donnée par le Ciel et ce, quotidiennement. Cette Manne avait pour celui qui la consommait le goût qu'il souhaitait. La Providence se souciait donc de subvenir non seulement aux besoins vitaux des Bné Israel mais aussi aux plaisirs moins indispensables. Dès lors, pourquoi ne pas prendre également en considération leur soif naturelle, et provoquer par cela le risque de complaintes, engendrées par un manque de confiance?
En fait, nous pouvons reconnaître ici un élément fondamental de la manifestation de la Providence: même lorsqu'un homme est comblé de presque tout ce dont il a besoin, une place est laissée pour un manque quelconque, et ce afin de mettre à l'épreuve sa confiance en D. Cela est vrai au plan matériel comme spirituel, à l'échelle collective comme individuelle. Or une épreuve, on le sait, est à double tranchant: on en ressort soit minable, soit renforcé.
C'est ainsi que les Bné Israel, aussi assistés qu'ils l'étaient par la Providence divine, furent mis à l'épreuve de la soif pour tester leur confiance. Ce fut un échec considérable. Mais, doit-on le rappeler, aucun échec n'est totalement définitif.
R. Chmouel Olivier